L’histoire

Difficile de dire comment la magie est venue. Presque d’un coup. On ne s’y attendait pas vraiment: on avait connu tant d’échecs avec les disques, à la belle époque du Yé-Yé.

Gérald (Gerry)Boulet, son frère Denis dit « le vieux », Jean (Johnny) Gravel et Michel (Willie) Lamothe avaient appris au fil des ans a tripper sur la musique pour le seul plaisir de le faire, sans espérer beaucoup plus…

Entre 1962 et 1969, les Gants Blancs avaient enregistré six 45 tours, en partie des composition du groupe, en partie des versions de succès anglais ou américains. Aucun de ces disques n’avaient vraiment marché.

Cela avait tout de même servi à accumuler une bonne expérience du travail en studio, une grande habileté dans le maniement des instruments et une dose d’imagination pour construire des riffs de guitare et des lignes mélodiques.

Fin 1971, les Gants Blancs sont disparus. Le groupe se nomme maintenant Offenbach Pop Opéra et Pierre Harel est entré dans la bande.

Lui, ce qu’il veut, c’est chanter en français dans un Québec où ça ne se fait pas encore. Pas pour le rock, en tout cas, même si Robert Charlebois se livre depuis deux ou trois ans a une sorte de pop plus ou moins psychédélique garnie des mots de la rue, du français de la rue Hochelaga et du plateaLes oreilles pleines des accents des Doors et de Deep Purple, Gerry, Johnny et les autres sont toujours convaincus que le rock, c’est un truc qui se passe en anglais. Il n’y a rien à faire. à faire.

Harel est tenace…

Il commence par accouche de Jeannine, une toune rocambolesque qui remporte un étonnant succès dans les bars et les hôtels où on la donne sur fond d’orgue Hammond et de guitare fuzzée au maximum.

Oui, dans une discothèque de St-Sauveur, Harel invente le fameux Câline de Blues. Un flash? Un hasard? Un mal-entendu? L’anecdote est croustillante… Alors que Gerry et les autres fignolent un blues, en attendant de faire le spectacle en soirée, Harel dans son coin griffone en écoutant Gerry chanter. Évidemment, Gerry improvise en anglais… Harel se laisse imprégner par les mots et, lentement, le THAT’S WHY, THAT’S WHY… de Gerry devient… L’AUT SOIR, L’AUT SOIR…

Gerry, qui sent bien que son texte colle mal au blues, lui demande: « As-tu une idée, Harel, t’as toujours une idée sur toute, toi! » Pierre Harel se lève, lui tend sa curieuse « traduction » et Gerry (sceptique) finit par mordre dans ces paroles: la magie est instantanée, Câline de Blues. allait devenir l’une des chansons-culte du groupe et de toute une génération.

Voilà la trouvaille: les mots de taverne de la Main (le boulevard St-Laurent a Montréal) sur un hypnotique blue d’Amérique. Gerry, qui roule ses « RRR » sur la forte rythmique qu’assemblent Denis et Willie avec, en garniture, la troublante de Johnny.

Voilà Offenbach. A l’été 72, le groupe livre son premier microsillon, Offenbach Soap Opera. Des tounes superbes. Câline de Blues, bien sur, mais aussi Faut que j’me pousse, qui restera à jamais un grand classique; Bulldozer, pour le film de Harel; Moody calvaire Moody et quatre autres encore.

Curieux disque. Il ne marchera pas beaucoup, tournera peu à la radio. Un son trop nouveau des voix hurlantes, des rythmes durs, une garniture instrumentale échevelée pour un coin d’Amerique qui cherche encore son rock n’ roll. En même temps, un petit quelque chose de trop léger dans le son: ici, personne n’a encore appris à travailler avec ce type de musique.

Fuck, comme ils disent…

Suite à cet épisode, Denis Boulet se pousse du métier et Roger (Wézo) Belval prend la relève aux baguettes. La nouvelle formation part sur une autre piste… Encore plus étrange: une messe en latin, que l’on va donner a l’Oratoire St-Joseph avec un soliste cure, Yvon Hubert, qui estime que la sonorité du latin se marie fort bien à la construction rythmique du rock.

Il n’a pas tort…

Offenbach se frotte a une entreprise colossale (qui sera diffusée en direct a CHOM-FM puis couchée sur un disque demeure lui aussi presque confidentiel: Saint-Chrome de Néant). Après seulement huit jours a composer et a répeter les sept pièces de la messe des morts, le groupe envahit l’Oratoire le 30 novembre 1972 en compagnie de l’organiste Pierre-Yves Asselin et les chanteurs de la Gamme d’Or.

Dans la construction du son d’Offenbach, une autre étape est franchie. La suivante aura pour nom Tabarnac.

L’album double est enregistré en France en 1974. Il va être livré aux disquaires d’ici janvier 1976, en plein âge d’or du pop-rock Québécois déjà meuble d’une nuée de groupes: Harmonium, Beau Dommage, Octobre, Aut’Chose.

Tabarnac, c’est un son live, très lourd, avec une rythmique précise et des arrangements dont l’anarchie est traversée par un flair musical qui donne une direction, une âme aux élucubrations de chacun. Offenbach ne se départira jamais de ce souci du son direct et, en studio, réclamera que l’on se passe des artifices techniques servant à polir le son et à gommer les imperfections.

Tabarnac, c’est aussi la mise au point d’une imagerie Offenbach: Harel (qui depuis le périple en France ne fait plus partie du groupe) a néanmoins écrit les paroles de la majorité des tounes, sevant un cocktail unique de monologues de bum, de poésie de ruelle, d’odes à la vie urbaine… Et question de paroles, Gerry finit par donner la sienne aux propositions d’Harel et de Willie et cueuille désormais les mots dans des endroits inattendus. Il chante L’Hymne a l’Amour d’Edith Piaf, comme il fera plus tard Quand le hommes vivront d’amour, de Raymond Levesque; et Promenade sur Mars

En 1976, Offenbach s’est trouvé. Le plus Nord-Américain des groupes Québécois par ses influences musicales, Offenbach est devenu la figure de proue de cette vague contre-culturelle largement composée d’un sous-prolétariat malade de violence et de tendresse, d’alcool et d’amitié, de dope et de cul. Offenbach chante le Québec Rock…

En somme, le groupe fait suffisamment de bruit pour attirer l’attention d’une multi-nationale du disque, A&M Records, qui commence par expédier Offenbach au studio Phase One a Toronto, ou, cédant a une vieille lubie, on enregistre un album destiné au marche anglophone, Never Too Tender.

Curieuse aventure…

Alors que le groupe vient de se construire a grand-peine une méthode de travail, une sonorité, une identité bien a lui, il met tout cela de coté pour accoucher d’un produit au son léché mais sans ligne conductrice.

C’est un échec, à la fois sur le marché anglophone qu’Offenbach ne parvient pas à percer; et au Québec, ou cette initiative soulèvera l’ire des nationalistes (le parti Québécois venant de prendre le pouvoir en 1976).

Pire, le disque sème la pagaille au sein du groupe et, en janvier 1977, on sent bien que c’est la fin lorsqu’on retourne en studio (au Québec, cette fois). pour mettre sur ruban les neuf tounes d’Offenbach, le fameux album-caricature.

En travaillant ensemble, le groupe décide faire comme si l’aventure Torontoise ne s’était jamais produite: l’album-caricature est la suite logique de Tabarnac.

Avec les mêmes explorations poétiques: pour compléter le travail d’Harel, Gerry est allé chercher des mots de Jean Grenet et d’un monument de la poésie Québécoise, Gilbert Langevin, qui lui donne l’hymne La voix que j’ai.

Avec les mêmes constructions musicales: énergiques dans Chu’un Rocker, lancinantes dans Le Blues me guette.

Le disque est à peine sorti chez les disquaires, on apprend qu’Offenbach tel qu’on le connait n’existe plus: Willie et Wezo vont tenter, avec Pierre Harel, une autre aventure (qui deviendra Corbeau, groupe auquel la chanteuse Marjo s’associera peu après).

Pendant presque 2 ans, de janvier 1977 a septembre 1978, Offenbach reste loin des studios d’enregistrement.

En fait, le groupe doit repartir sur des bases qui soient a la fois originales et conformes a l’esprit d’Offenbach.

Demeures seuls, Gerry et Johnny font un bout de chemin avec près d’une demi-douzaine de musiciens, notamment Jean Millaire (qui sera plus tard le conjoint de Marjo) et Norman Kerr, avant que le nouveau Offenbach prenne forme. Aucun de ces musiciens n’apparaîtra sur disque a l’exception du batteur Pierre Lavoie, qui enregistrera Traversion (avec, également, la participation de Pierre Ringuet a la batterie).

Les compagnons de passage apportent de nouvelles influences, évidemment. Surtout, l’évolution du son d’Offenbach se fait autour de la présence d’un deuxième guitariste aux cotes de Johnny, ce qui va permettre d’explorer de nouvelles façons de concevoir la rythmique et les arrangements.

Bref, ceux qui restent vont connaitre la période de gloire d’Offenbach.

Le nouveau batteur Bob Harrison a navigue dans tous les courants et a même touche au jazz; le gros Bob est surtout un fanatique de blues. Harrison est le seul qui ne demeurera pas avec Offenbach jusqu’à la fin: en 1981, il partira seul, laissant sa place a Pat Martel, venu du groupe Aquarelle.

John McGale est un guitariste versatile. Compositeur talentueux, il assimile comme une éponge toutes les influences du pop et du rock. L’oreille ouverte a toutes les nouveautés, McGale est un leader en attente de se manifester. Fin 1978, il a déjà dans ses cartons les musiques d’une demi-douzaine de tounes qui apparaîtront sur Rock Bottom, un peu plus tard.

Venu comme Mcgale du Canada anglais, Breen Leboeuf a frotté sa basse aux mêmes influences que Gerry et Johnny. Pendant l’enregistrement de Traversion, il s’affirme déjà comme le grand conciliateur, celui qui échafaude les compromis nécessaires en fignolant la matière brute que les autres tirent de leurs instruments: c’est Breen qui, souvent, invente les bridges, travaille les intros et les finales.

Des qu’il apparaît chez les disquaires, Traversion s’avère être le Chef-D’œuvre dont on avait bien besoin: après le désistement d’A&M Records, le roulement de personnel, l’arrivee d’anglophones au sein du groupe, le public d’Offenbach était sceptique.

Or, non seulement l’album répond à toutes les attentes, mais il s’avère une succession de classiques, littéralement, que le groupe interprétera sur scène presque in extenso jusqu’à sa dissolution.

Le travail du parolier Pierre Huet, de Mes Blues passant pus dans’Porte jusqu’à Deux aut’Bières et passant par J’ai l’rock n’ roll pis Toé et Je chante comme un coyote, est carrément génial. La voix de Gerry et la guitare de Johnny se hissent dans Ayoye a un niveau d’émotion pure rarement atteint jusque-la. Toutes les tounes portent la marque d’un travail soigne, precis et imaginatif.

Au total, le son de Traversion est absolument parfait: on a mise gros en suivant les conseils de René Malo et en branchant les micros dans un studio tout neuf, celui de T.M. Audio, qu’il a fallu roder en assemblant les dix tounes du microsillon.

Période riche en rebondissement: c’est également au cours de ces semaines consacrées à l’enregistrement de Traversion que l’on fait la connaissance de Vic Vogel, le bum de bonne famille qui, avec son big band, deviendra une véritable institution Montréalaise.

Avec lui, on convient de se livrer a une des expériences les plus originales de la petite histoire du rock Québécois: la fusion d’un big band de jazz etd’une formation de rock pure et dure.

Pour les membres d’Offenbach, c’est à la fois une expérience à la fois amusante et enrichissante: « On va compléter notre bagage, avec un gars de la vieille école du jazz, un maître de gros orchestre des années 40 et 50… Ce que, nous autres, on a pas connu! » constate tout de suite Breen Leboeuf. Gerry, lui, plane comme s’il était dans un rêve. Le gros Bob tape si fort que Vogel le surnomme King Kong…

Une répétition (ardue). Deux shows au Théâtre Saint-Denis (très courus). Un disque (exceptionnel et audacieux). L’expérience Vogel-Offenbach demeurera unique, et ceux qui ont eu la chance d’obtenir un siège au Saint-Denis, en mars 79, en parlent encore aujourd’hui avec des éclairs dans les yeux…

En somme, Traversion et la fusion avec le big band de Vic Vogel propulseront Offenbach jusqu’au Forum, ou le groupe se produira pour la première fois en avril 1980 et ou il retournera à trois reprises par la suite.

Au fil des ans, John McGale prend une place de plus en plus importante au sein d’Offenbach. Son inspiration, sa soif d’expérimentation et ses méthodes de travail commencent a s’imposer des Rock-Bottom, enregistre a l’hiver 1979-1980 alors que le groupe se voit allouer un énorme budget de production largement assume par la Canadian Broadcasting Corporation (CBC).

Les sessions d’enregistrement durent 4 mois, et on se livre à des expériences novatrices et a des arrangements hyper-sophistiques: du jamais entendu qui passera malheureusement sous silence.

Car le deuxième album en anglais d’Offenbach connaitra à peu de choses près le même sort que le premier: il ne mene le groupe nulle part, et suscite au Québec sa part d’hostilite.

McGale ne se tient pas pour battu et, seul ou avec Breen Leboeuf, construit les musiques de cinq des dix tounes du microsillon Coup de Foudre. L’enregistrement de Coup de Foudre s’avère une de ces aventures rocambolesques dont Offenbach a le secret… Conformément a la tradition, on veut un son live et, cette fois, on ne recule devant rien pour l’obtenir: le groupe monte sa quincaillerie sur la scène d’un théâtre désaffecte et loue les services du trucks de Filtroson, que l’on amarre a l’arrière de l’édifice! Les rythmiques sont enregistrées tout d’une pièce, sans artifices de studio, en calibrant les divers microphones suspendus dans la salle afin de donner un effet de réverbération.

S’il ne contient pas de hits comparables à ceux de Traversion, Coup de Foudre donne a Offenbach une quantité de matériel nouveau pour la scène, de Rock de V’lours à Poison Rouge en passant par Palais de Glaces (de Plume Latraverse).

A la fin de 1982, l’empreinte de John McGale se fait plus forte encore lorsque vient le temps d’enregistrer le microsillon Tonnedebrick. Le guitariste compose huit des onze tounes du disque, lui imprime un son et des rythmiques résolument rock n’roll. Gerry, déjà obnubile pas le blues du microsillon solo qu’il a en tête, n’en signe qu’une.

L’enregistrement de Tonnedebrick est un véritable marathon. Le groupe s’installe a l’hôtel Clarendon à Québec. Et, pendant 22 jours, vit littéralement au studio P.S.M., dans la basse-ville. L’ingénieur du son, Michel Lachance, a même installe son lit à l’étage, au dessus du studio!

Les ventes de Tonnedebrick sont décevantes. D’abord, le son n’est pas parfait, on s’en rend vite compte: épuises, les musiciens et les techniciens on fait, au mixage, des erreurs qu’il n’est pas possible de réparer. Ensuite, comme toujours, le support des médias-surtout la télévision-est insuffisant. Pourtant, les fans d’Offenbach sont légion, comme le prouve la tournée A fond d’train, avec Plume Latraverse: 90,000 personnes s’amassent devant les 27 scènes du Québec et du Nouveau-Brunswick qu’envahit la tournée a l’été 1983.

Au milieu de 1984, lorsque vient le temps d’entrer a nouveau en studio, Offenbach est un groupe qui agonise. Gerry a déjà produit, seul, Presque quarante ans de Blues. Breen Leboeuf et John McGale s’agitent a temps perdu au sein d’un autre groupe, le Buzz Band. Pire, on ne sait pas trop dans quelle direction aller avec le prochain disque. McGale a en tête un autre microsillon en anglais, que l’on a déjà commence a assembler. Mais on convient de servir plutôt le premier public du groupe: les rockers Québécois.

A l’hiver, la bande entre au studio Multisons, rue Beaubien, et enregistré Rockorama. Comme sur Tonnedebrick, les musiques sont de McGale; Michel Rivard est le principal parolier conscrit pour Rockorama.

Au vrai, Rockorama s’avère un excellent disque et est en quelque sorte le triomphe des innovations refendues par John McGale: l’instrumentation électronique, par exemple synthétiseur et batterie, que les autres regardaient avec suspicion, font merveille. Il est vrai que quelques années plus tôt, déjà, on avait expérimente la basse électronique dans les trois tounes composées pour le film Métier: Boxeur du cinéaste André Gagnon, un fan du boxeur Gaëtan Hart.

Seulement qu’une aventure, La louve, Taxi rock n’roll sont parmi les derniers classiques auxquels Offenbach donne naissance.

Même si le membres du groupe sont satisfaits de cette dernière oeuvre, les aspirations de chacun sont devenues nettement divergentes et, à l’été 1985, on convient de rédiger le certificat de décès d’Offenbach.

Les préparatifs du dernier show du groupe (immortalise pour la télévision sous le titre de Offenbach- Marci!), livre au Forum le vendredi, 1 novembre 1985, donnent toute la mesure de l’oeuvre des pionniers du rock n’ roll Québécois: parmi plus de cent pièces originales accumulées depuis plus de 15 ans, il faut en interpréter une quarantaine puisque ce sont des classiques qu’on ne leur pardonnerait pas d’oublier…

Lorsque le sports s’éteignent, au Forum, il reste d’Offenbach une oeuvre monumentale. Quelques 17 albums en incluant les enregistrements live, la compilation C’était plus qu’une aventure et la deuxième édition de Traversion; ainsi que des dizaines de bandes inédites (dont quelques unes se retrouvent dans les coffrets 1-3-5 et 2-4-6).

Surtout, il reste le rock de l’Amérique française. Et la beauté des mots de la rue, des bums et des tendres, qui est la vraie beauté de la vie. Offenbach, c’est une aventure qui ne se terminera jamais.